Il y a eu, à l’origine de ce dossier, le travail mené dans le cadre du Cesem par Lahcen Achy et Aicha Belarbi, qui mettent en évidence la baisse du pourcentage de participation des femmes à l’activité économique et leur prédominance dans des secteurs féminisés peu rémunérateurs et dévalorisants. La socio-économiste Rajaa Mejjati nous dresse un panorama de ces formes de travail précaires qui maintiennent les femmes dans l’invisibilité (p. 32).
En retraçant les origines de l’apparition du travail domestique au Maroc, jusqu’aux mutations liées à la colonisation, Nassima Moujoud tente de déconstruire l’association entre modernité et émancipation de la condition féminine (p. 79). Le même constat est réitéré par Mériem Rodary qui montre que le processus d’invisibilisation du travail des femmes est derrière l’idée courante qui l’associe au contact avec l’Occident (p. 7). Ainsi, les articles de Leila Bouasria, Kamal Mellakh et Gaelle Gillot, ayant comme objet d’étude commun les ouvrières marocaines, montrent que les salaires féminins sont loin d’être des revenus d’appoint, mais tendent à devenir de plus en plus la principale ressource du ménage (p. 45-56).
Plusieurs facteurs sont ainsi responsables de la persistance de telles représentations. L’article d’Aicha Barkaoui (p. 64) donne l’exemple des publicités marocaines qui continuent de reproduire des conceptions machistes. L’article d’Asma Lamrabet pointe du doigt les interprétations religieuses et démontre la manière dans laquelle le concept de la Qiwâmah est souvent évoqué pour justifier le pouvoir et l’autorité masculine en tant que repères normatifs incontestables (p. 83).
L’article de Yasmine Berriane et Fadma ait Mouss (p. 28), à travers le cas des Soulaliyates, rend hommage à la mobilisation de ces dernières en faveur de l’obtention du droit d’exploitation des terres collectives dans un milieu empreint de rivalités. Mériam Cheikh appréhende les transactions sexuelles en tant que stratégie de réponse à une situation de précarisation (p. 79). Houda Laâroussi, à travers l’exemple de la mobilisation des femmes dans le milieu associatif en Tunisie, confirme l’émergence de nouveaux espaces d’expression individuels féminins (p. 75).
Malgré les réformes entreprises, fruits d’efforts consentis par la société civile et le mouvement féminin (dont le parcours est tracé à travers les précieux témoignages de Leila Rhiwi (p. 87) et Nouzha Guessous (p. 38), le décalage entre le principe de l’égalité et les pratiques demeure une réalité. Ceci est confirmé par Houria Alami M’chichi qui énumère les différents aspects de cet écart (p. 20), et aussi par Merieme Yafout (p. 24) qui aborde les politiques sensibles au genre adoptées par certains ministères tout en faisant allusion à l’absence d’une conscience qui rend nécessaire leur application.